Les impacts de la révision du CPC dans le droit de la famille

Des améliorations ponctuelles, mais d’importance pratique considérable

Damien Hottelier
7 min readJul 11, 2023

Le CPC est entré en vigueur voici un peu plus de dix ans. Le législateur a initié, en mars 2018, un toilettage important comportant un volet important pour les consommateurs — en substance, il s’agissait d’initier l’action collective.

Devant le refus d’Economiesuisse, le Conseil fédéral a divisé le projet en deux parties. Sans abandonner l’action collective, il l’a renvoyée aux calendes et a maintenu le projet de modifier, ponctuellement, le CPC.

Ce travail a abouti le 17 mars 2023 ; le délai référendaire échéait au 6 juillet 2023 et n’a pas été utilisé.

Seules celles a priori pertinentes pour la pratique du praticien en droit familial sont examinées ici.

Je note toutefois que cette modification relativise l’importance de la forme au profit du fond (p. ex. l’art. 52 al. 2 CPC nouveau prévoyant que les indications erronées des Tribunaux sont opposables à tous les Tribunaux, l’art. 85 al. 2 CPC en matière de chiffrage de la demande (cf ci-après), etc.).

Le droit de réplique inconditionnel de l’art. 53 al. 3 CPC (nouveau)

Elles peuvent se déterminer au sujet de tous les actes de la partie adverse. Le tribunal leur impartit un délai de dix jours au moins. Passé ce délai, les parties sont considérées avoir renoncé à se déterminer.

Le CPC légifère expressément le droit de réplique inconditionnel, jusqu’ici jurisprudentiel. Le délai est fixé de manière uniforme à dix jours.

La fin de l’obligation de chiffrer spontanément la demande (art. 85 al. 2 CPC modifié)

Une fois les preuves administrées ou les informations requises fournies par les parties ou les tiers, le tribunal fixe un délai aux parties pour qu’elles chiffrent leur demande. …

L’obligation de chiffrer a entrainé pléthore de litiges sur le moment du chiffrage, la nécessité d’alléguer des faits complémentaires et l’absence d’obligation du Tribunal d’interpeller. Cette période touche à son terme : l’art. 85 al. 2 CPC modifié prévoit que le Tribunal fixe un délai aux parties pour qu’elles chiffrent leur demande.

La jurisprudence claire du Tribunal fédéral sur la nécessité de démontrer l’impossibilité de chiffrer devra toutefois être respectée, l’art. 85 al. 1 CPC n’étant pas touché par la modification. De même, la cautèle élémentaire d’un chiffrage provisoire demeure.

Les frais

La distraction des dépens introduite par l’art. 96 al. 2 CPC (nouveau)

Les cantons peuvent prévoir que l’avocat a un droit exclusif aux honoraires et débours qui sont alloués à titre de dépens.

Le législateur corrige une erreur historique en prévoyant la possibilité, pour le législateur cantonal, d’introduire la distraction des dépens. Le contraire avait entraîné des impayés conséquents. Il serait heureux que les Grands conseils suivent rapidement et insèrent dans la législation cantonale cette disposition essentielle.

La limitation des avances à la demie des frais présumés par l’art. 98 al. 1 CPC (modifié)

Le tribunal ou l’autorité de conciliation peuvent exiger du demandeur une avance à concurrence de la moitié des frais judiciaires présumés.

La modification limite, sauf exceptions généralement non réalisées en droit de la famille, l’avance de frais de justice à la demie de son montant présumé.

Cette limitation de l’avance des frais est heureuse.

Plus précisément, il est malheureux que, dans le système actuel, ce qui n’est qu’une possibilité (cf le texte clair de l’art. 98 CPC) offerte au Juge soit systématiquement utilisé dans sa forme la plus extensive.

Le législateur semble avoir pris acte de ce comportement et le ramène dans des proportions nettement plus raisonnables.

En particulier dans les divorces, l’art. 98 al. 1 CPC modifié augmentera l’accès à la justice de manière générale et diminuera l’intérêt de patienter qu’une autre partie assume ses frais, même de manière provisoire.

La compensation des frais judiciaires avancés par la partie victorieuse est interdite par l’art. 111 al. 1 et 2 CPC

Les frais judiciaires sont compensés avec les avances fournies par les parties dans les cas où la partie qui a effectué une avance supporte la charge des frais. Dans les autres cas, l’avance est restituée. Le montant qui n’est pas couvert par les avances est versé par la partie qui supporte la charge des frais.

La partie qui supporte la charge des frais verse à l’autre partie les dépens qui lui ont été alloués.

La modification pose le principe que l’avance doit être rendue si celui qui l’a versée ne doit finalement pas assumer de frais.

Le fait de voir cette avance rendue est une perspective nettement plus intéressante et l’instant n’a plus à jouer la banque pour une tâche régalienne.

La langue et l’art. 129 al. 2 CPC

Le projet, très malmené devant le Conseil des Etats, prévoyait que les parties pourraient, si le droit cantonal l’autorise, employer une autre langue nationale que celle du Tribunal, respectivement l’anglais.

Finalement, la loi n’est que partiellement changée :

2 Si le droit cantonal le prévoit, les langues suivantes sont utilisées à la demande de toutes les parties:

a. une autre langue nationale; aucune partie ne pouvant renoncer à la langue de la procédure au sens de l’al. 1 avant la naissance du litige;
b. l’anglais dans les litiges internationaux commerciaux au sens de l’art. 6, al. 4, let. c, devant le tribunal de commerce ou le tribunal ordinaire.

Elle aurait été extrêmement utile en droit de la famille. De nombreuses personnes ne parlent pas la langue du Tribunal, mais le Juge, lui, maitrise fréquemment l’anglais.

La présence de traducteurs est souvent faite pour la seule forme, le dialogue entre le Juge et la partie étant directement fait en anglais.

La cohésion nationale, posée en rempart de l’invasion anglophone, ne sert ni les justiciables ni la pratique. Cet abandon est fort regrettable.

Bienvenue à la visioconférence des art. 141a ss, 170a et 193 CPC nouveaux

Ces modifications, qui interviennent après la crise du Covid, légifère de manière bienvenue sur les conditions de la visioconférence au Tribunal. Reste à espérer que le Conseil fédéral ne la torpille pas comme il l’a fait avec la signature électronique en exigeant des Tribunaux des “conditions techniques et les exigences concernant la protection et la sécurité des données” (art. 141b al. 3 CPC, nouveau) trop élevées.

La transmission d’office et l’art. 143 al. 1bis CPC

Les actes remis dans les délais mais adressés par erreur à un tribunal suisse incompétent sont réputés remis en temps utile. Lorsqu’un autre tribunal suisse est compétent, le tribunal incompétent les lui transmet d’office.

Le CPC modifié met un terme à la sanction d’irrecevabilité qui frappe les écrits adressés, à tort, à un tribunal incompétent. Désormais, la transmission d’office s’impose et les écrits sont, surtout, réputés remis en temps utile.

Cet ajustement est très bienvenu, en particulier dans le conflit dit de masse comportant celui du droit de la famille.

L’expertise privée devient un titre selon l’art. 177 CPC modifié

Les titres sont des documents propres à prouver des faits pertinents, tels les écrits, les dessins, les plans, les photographies, les films, les enregistrements audio, les fichiers électroniques, les données analogues et les expertises privées des parties.

Une expertise privée n’a jamais été un simple allégué, n’en déplaise au Tribunal fédéral qui insistait qu’il ne s’agissait que d’un allégué et certainement pas un moyen de preuve (ATF 141 III 433 : “Ein Privatgutachten stellt kein Beweismittel i.S.v. Art. 168 Abs. 1 ZPO dar”).

Or l’expertise privée est utile dans le litige. Elle permet de défendre un point de vue et de critiquer celui d’un expert, alors que le travail de ce dernier n’est que très rarement remis en perspective par les Tribunaux.

L’expertise ne prouve pas par elle-même ses conclusions, mais elle pourra être appréciée au sens de l’art. 157 CPC.

La conciliation n’a plus lieu lorsqu’une contribution d’entretien est en jeu selon l’art. 198 let. bbis CPC

La procédure de conciliation n’a pas lieu:
bbis.en cas d’action concernant la contribution d’entretien des enfants mineurs et majeurs et d’autres questions relatives au sort des enfants;

Enfin ! Le Code revient à une logique certaine, ces actions étant pratiquement toujours couplées à des mesures provisionnelles.

Ce sera donc la fin de l’exigence (controversée) du dépôt d’une action au fond devant une autre autorité lorsque le Tribunal du fond est saisi de mesures provisionnelles.

La fin du deuxième tour d’écriture “automatique” selon l’art. 225 CPC

Le Code évolue quelque peu sur cette question, mais il est très vraisemblable que l’art. 225 CPC continuera à être appliqué de manière courante.

Le nouveau régime des faits nouveaux de l’art. 229 CPC modifié et l’introduction de la procédure simplifiée au divorce conflictuel selon les art. 288 et 291 CPC

Compte tenu de son importance pratique, ce point fera l’objet d’un post spécifique.

La fin du délai de dix jours pour appeler contre des mesures protectrices de l’union conjugale selon l’art. 314 al. 2 CPC

Lors de litiges relevant du droit de la famille visés aux art. 271, 276, 302 et 305, le délai pour l’introduction de l’appel et le dépôt de la réponse est de 30 jours dans un cas comme dans l’autre. L’appel joint est recevable.

Répondant à une attente claire des professionnels, couverts de délais très courts, le législateur fédéral laisse du temps au temps et (nous) permet de mieux réflechir avant de déposer un appel, même contre des mesures protectrices de l’union conjugale.

Cette nouveauté est bienvenue et appréciée. Elle limitera probablement le nombre d’appels du seul fait du temps de réflexion laissé aux parties.

La révision élargie de l’art. 328 al. 1 let. c CPC

c.lorsqu’elle fait valoir que l’acquiescement, le désistement d’action ou la transaction judiciaire n’est pas valable en raison de vices formels ou matériels;

Ce point fera l’objet d’un post spécifique.

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