La réforme de l’imposition à la source exige de revoir la jurisprudence relative au revenu du débirentier soumis

L’impact de la taxation ordinaire ultérieure sur le revenu disponible du débirentier

La pratique du Tribunal fédéral ne correspond plus à la pratique fiscale

Damien Hottelier

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Résumé. Selon le TF, seul le revenu à disposition du débirentier soumis à l’impôt à la source doit être considéré, sauf à violer l’intangibilité du minimum vital. Si le principe est juste, son application pratique doit être revue avec l’entrée en vigueur de l’imposition à la source et les pratiques constantes des autorités ajustant sur demande le barème de l’imposition.

Introduction

En droit suisse, le Trésor public n’est pas un créancier privilégié au sens large du terme. Aucune sanction pénale n’est encourue pour le simple non-paiement des impôts (art. 174 et s. LIFD a contrario) ; ceux-ci sont simplement encaissés par les voies usuelles de la poursuite pour dettes (art. 165 al. 1 LIFD).

C’est ce qui a permis au Tribunal fédéral d’établir que le paiement de l’entretien de la famille est prioritaire sur le respect des obligations fiscales, qui peut par ailleurs être partiel (ATF 147 III 265 consid. 6.2 ; TF 5A_378/2021 consid. 6.2).

Or cette approche pose une difficulté lorsque le contribuable n’a pas le choix que de payer sa charge fiscale parce que celle-ci est prélevée peu importe son accord. Tel est le cas de l’impôt à la source.

La Confédération (art. 1 let. c LIFD) et les Cantons (art. 2 al. 1 let. c LHID) prélèvent un impôt à la source auprès de certains contribuables.

Il s’agit d’un impôt directement déduit du revenu :

  • des travailleurs détenant uniquement un permis de séjour (art. 83 al. 1 LIFD ; art. 32 al. 1 LHID) ;
  • entre autres, des travailleurs, artistes, sportifs, conférencier et administrateurs non domiciliés (au sens du droit fiscal) en Suisse (art. 91 et suivants LIFD ; art. 35 et suivants LHID).

Le travailleur n’a pas le choix que de payer cet impôt, puisqu’il lui est directement déduit de son revenu.

Cet impôt est prélevé selon différents barèmes adaptés à la situation du travailleur ; le système est particulièrement complexe, chaque canton ayant institué son propre système (p. ex. à Genève, la Loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales (LISP)) et le droit fédéral laissant une marge de manœuvre importante.

Le système est ainsi très variable selon les pratiques cantonales ; ainsi, certains cantons annualisent le calcul alors que d’autres le mensualisent (Circulaire AFC 45, accessible sur le site de l’AFC). Dans certains cantons, les barèmes sont plus avantageux que l’imposition ordinaire ; dans d’autres, c’est l’inverse.

De ce fait et de longue date, le Tribunal fédéral estime que l’impôt prélevé à la source doit être déduit du revenu déterminant du débirentier (TF 5A_592/2011 du 31 janvier 2012 c. 4.2), à charge pour celui-ci de l’alléguer et le prouver même dans les procédures soumises la maxime inquisitoire (TF 5A_304/2013 du 1er novembre 2013 c. 6.2.2).

Il s’agit essentiellement d’éviter qu’un revenu n’étant pas effectivement à disposition du débirentier soit considéré. L’exigence de préserver le minimum vital (ATF 147 III 301 c. 4.3 ; ATF 147 III 293 c. 4.5 i.f. ; ATF 147 III 265 c. 6.6 i.f. ; SJ 2021 I 316) demeure entière et serait largement entamée à défaut.

Or cette conception est à notre sens dépassée dans son application pratique depuis le 1er janvier 2021, date de l’entrée en vigueur de la révision de l’imposition à la source.

Bref mode d’emploi des barèmes d’impôt à la source. Les barèmes sont composés, en règle générale, de trois caractères. Le premier indique la situation générale du contribuable. Il en existe 17, inventoriés à l’art. 1 al. 1 OIS, mais les plus courants et applicables aux situations qui nous occupent sont le A pour les contribuables célibataires, les barèmes B et C pour les travailleurs mariés, le B lorsqu’un seul des deux conjoints travaille et le C lorsque les deux travaillent, le barème H pour les “personnes célibataires, divorcées, séparées judiciairement ou de fait ou veuves, vivant en ménage commun avec des enfants ou des personnes nécessiteuses et qui assument l’essentiel de l’entretien de ces derniers”. Le second correspond au nombre d’enfants mineurs ou accomplissant leur formation initiale ou scolaire dont le travailleur assume pour l’essentiel l’entretien (art. 35 al. 1 LIFD). Le dernier, pour oui (yes, donc Y) ou non (no, donc N), correspond à l’impôt paroissial.

L’évolution législative récente et la taxation ordinaire ultérieure

Les barèmes de l’impôt à la source prévoient certaines déductions de manière forfaitaire, notamment les cotisations de prévoyance (AVS et LPP), les frais de repas ou encore les primes d’assurance maladie-accident.

Dans un arrêt du 26 janvier 2010 (TF 2C_319/2009 et 2C_321/2009), le Tribunal fédéral a admis que l’interdiction de toute discrimination prévue par les art. 2 ALCP et 9 al. 2 annexe I ALCP est self-executing. Partant, un contribuable imposé à la source selon l’art. 21 al. 3 ALCP doit bénéficier du même régime de déductions fiscales que les contribuables inscrits au rôle ordinaire.

Cette exigence a entrainé une révision complète de l’imposition à la source (FF 2015 625), qui avait essentiellement pour but de proposer aux contribuables concernés un mécanisme en deux étapes : (1) le maintien de l’imposition à la source, (2) la possibilité de requérir ultérieurement une demande de rectification de l’impôt à la source ou de se voir taxer ordinairement.

La modification de la LIFD est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 et elle a institué la taxation ordinaire ultérieure (ci-après : TOU).

Il s’agit de proposer, voire d’astreindre dans un grand nombre de cas, aux contribuables taxés à la source un traitement identique à celui du reste de la population résidente, à savoir une taxation ordinaire.

La taxation ordinaire, au lieu de partir de données statistiques, voire de préjugés (à l’exemple du revenu réalisé par le conjoint et considéré dans la fixation des barèmes), détermine l’assiette imposable de manière complète (par exemple en intégrant les rachats de cotisations de prévoyance, les cotisations au troisième pilier A, les frais de garde d’enfant, le versement de pensions alimentaires en faveur d’enfants mineurs ou encore les frais de formation).

Cette taxation est :

  • obligatoire pour le sourcier résident suisse dès que le revenu dépasse un certain montant (fixé par le DFF en collaboration avec les cantons selon l’art. 89 al. 2 LIFD) ou lorsqu’il dispose de revenus qui ne sont pas soumis à cet impôt (art. 89 al. 1 LIFD) ;
  • facultative dans les autres cas(art. 89a LIFD).

A noter toutefois que le choix d’établir une déclaration d’impôt oblige le sourcier à suivre cette procédure jusqu’à la fin de son assujettissement, c’est-à-dire potentiellement sa vie durant (art. 89 al. 5 LIFD). La taxation ordinaire contamine le nouveau conjoint, qui y devient obligatoirement soumis (art. 89 al. 3 LIFD).

De prime abord, cette modification contraindrait le débirentier sourcier à solliciter la TOU pour diminuer sa charge fiscale et, ainsi, à augmenter le revenu disponible pour l’entretien de ses proches.

Dans un tel cas, le revenu librement disponible immédiatement ne change pas ; cependant, tout ou partie du trop-perçu, remboursé en N+1, pourrait alors être attribué aux crédirentiers.

Les correctifs hors TOU

La correction en cours d’année pour les cas de rigueur

L’art. 2 al. 2 aOIS, peu connu à notre sens des praticiens de droit de la famille, permettait déjà de solliciter une adaptation de la retenue à la source lorsque le contribuable devait s’acquitter de contributions d’entretien.

Le principe a été repris à l’art. 11 al. 1 OIS, ce qui signifie concrètement que le sourcier débirentier peut solliciter de son administration cantonale compétente l’application d’un barème plus proche de la charge fiscale prévisible.

Or cette faculté devrait être repris en droit civil. Le magistrat pourrait :

  • soit exiger du sourcier débirentier qu’il sollicite de l’administration fiscale un préavis s’agissant de la classe fiscale dans laquelle il écherra ;
  • soit et à notre avis de manière subsidiaire, mais probablement aussi de manière plus réaliste, de directement considérer un barème d’imposition à la source plus réduit et tenant compte de la probable diminution à venir.

Le § 4.9 de la Circulaire 45 expose la manière de procéder. Il s’agit avant tout de vérifier, dans le droit cantonal, la déduction annuelle prévue par le droit cantonal.

La circulaire donne cet exemple :

Le travailleur U., qui n’est pas soumis à l’impôt paroissial, est divorcé et paie chaque mois 1 500.00 francs de contributions d’entretien à son ex-femme et 1 000.00 francs de pension alimentaire pour chacun des deux enfants mineurs qui vivent chez cette dernière (soit 2 000.00 francs au total; autorité parentale conjointe). Son salaire mensuel brut se monte à 5 500.00 francs.

La demande de U. d’appliquer le règlement des cas de rigueur est acceptée. Les contributions d’entretien annuelles se montent à 42 000.00 francs (soit 12 x fr. 1 500.00 + 12 x 2 x fr. 1 000.00). D’après la loi fiscale cantonale, une déduction de 8 000.00 francs est accordée par année et par enfant. L’administration fiscale cantonale autorise par conséquent l’application du barème A5N (5 x fr. 8 000.00 = fr. 40 000.00).

Dans ce cas et en imaginant que le contribuable est taxé dans le canton de Vaud, sa charge d’impôt est normalement de 10.21 % au barème A0, c’est-à-dire CHF 6'738.60 annuels. Sa charge fiscale nouvelle, au barème A5, est nulle.

Le Juge ayant admis de tenir compte le revenu taxé aurait, ainsi, potentiellement permis une économie indue d’entretien de cet ordre s’il se limite au solde disponible sans examen approfondi.

Le correctif a posteriori par le biais d’une DRIS

En outre, avant le 31 mars, tout contribuable imposé à la source peut demander qu’un nouveau calcul de l’impôt à la source soit effectué (art. 137 LIFD). Il ne peut toutefois pas faire valoir de déduction ; celle-ci est en principe réservée à la TOU.

Ce nouveau calcul est appelé demande de rectification de l’impôt à la source (DRIS).

L’influence sur le droit de la famille et, en particulier, la fixation de l’entretien

Maximiser le gain

En vertu de l’art. 285 al. 1 CC, la contribution d’entretien doit correspondre aux besoins de l’enfant ainsi qu’à la situation et aux ressources des père et mère. L’obligation d’entretien trouve sa limite dans la capacité contributive du débirentier, en ce sens que le minimum vital de celui-ci doit être préservé (ATF 141 III 401 consid. 4.1; 140 III 337 consid. 4.3 et les références).

Mais la présence d’un enfant mineur exige davantage des père et mère, surtout lorsque la situation est modeste et que l’entretien dit convenable n’est pas couvert : ceux-ci sont tenus de maximiser leur capacité de gain. Leur liberté personnelle est réduite d’autant, que ce soit au niveau professionnel, spatial ou de leur style de vie (ATF 137 III 118 consid. 3.1; arrêt 5A_47/2017 du 6 novembre 2017 consid. 8.2 non publié aux ATF 144 III 10; 5A_764/2017 du 7 mars 2018 consid. 3.2 ; 5A_119/2017 du 30 août 2017 consid. 4.1 et les références ; 5A_90/2017 du 24 août 2017 consid. 5.3.1; 5A_513/2012 du 17 octobre 2012 consid. 4).

Si le parent n’accomplit pas cet effort, le Juge peut retenir un revenu dit hypothétique en lieu et place du revenu réel. Il peut, de la même manière, retenir une charge hypothétique lorsque les dépenses ne sont plus justifiées (arrêts 5A_119/2017 précité consid. 4.1 et les références; 5A_120/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.1 et les références).

Ces exigences sont donc particulièrement élevées.

Avant d’en faire usage, le Juge doit vérifier si cet effort est raisonnable —ce qui est une question de droit — et possible — ce qui est une question de fait (TF 5A_702/2020 du 21 mai 2021).

Mise en balance avec la TOU ou la DRIS, la capacité contributive développée par le Tribunal fédéral appelle à plusieurs commentaires.

Le caractère raisonnable d’une démarche administrative relativement simple ne pose aucune difficulté à notre sens et il peut être exigé de tout débirentier qu’il améliore sa situation dans la mesure de ce qui est possible fiscalement.

La possibilité factuelle d’une diminution s’examine différemment selon qu’il s’agit d’un cas de rigueur ou non.

De manière générale, le sourcier peut de toute évidence bénéficier d’une augmentation de son revenu en optant pour la TOU ou le DRIS en présence d’un entretien à verser. En effet, un contribuable imposé à la source condamné à verser une contribution d’entretien pourra obtenir une déduction de son imposition et une augmentation de son revenu à tout moment.

Cette éventualité, certes potestative, s’apparente à l’exigence d’épuiser la capacité maximale de travail du débirentier. En supposant que ce dernier ne puisse librement choisir de modifier ses conditions de vie dès lors que cela exerce une influence sur sa capacité à subvenir aux besoins de l’enfant, il est patent que l’augmentation du revenu par le biais d’une TOU ou une DRIS entre dans cette catégorie.

L’adaptation doit être imputée dans un délai raisonnable, qui peut être estimé à un à deux mois selon les délais des administrations cantonales, démarrant à la connaissance de l’information. Dans un tel cas, le Juge pourrait exiger que le contribuable sollicite la DRIS ou la TOU et que le retour d’impôt soit versé au débirentier.

Si l’entretien entraine un cas de rigueur, le sourcier devra solliciter de suite une adaptation au sens de l’art. 11 al. 1 OIS. L’administration refusera vraisemblablement un cas de rigueur en l’absence de fixation de l’entretien ; partant, un délai devra être imparti et la charge hypothétique ne pourra pas être retenue de suite.

La mise en œuvre efficace de ces principes suppose ainsi que le magistrat invite, dès que possible, le débirentier à solliciter les adaptations nécessaires auprès de l’administration cantonale compétente.

Conclusion

La différence de traitement entre le crédirentier d’un sourcier et celui d’un contribuable ordinaire est injustifiable lorsque le crédirentier n’obtient pas l’entretien convenable.

Le premier recevra un calcul fondé sur un disponible large, péjorant la situation du débirentier ordinaire, le second se verra restreint et le principe de la charge fiscale secondaire au minimum vital sera violé.

Pour autant, une adaptation complète du système n’est pas à la portée du magistrat civil, qui peut tout de même limiter l’impact de cette différence en diminuant la charge d’impôts du débirentier sourcier en recourant aux trois correctifs précités.

Une telle exigence est raisonnable et possible ; partant, elle doit être imputée aux débirentiers concernés.

Proposition de citation : D. Hottelier, L’impact de la taxation ordinaire ultérieure sur le revenu disponible du débirentier, consultable sur medium.com/damienhottelier, visité le (date).

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