Le paiement de la provisio ad litem n’est pas une condition de recevabilité

TF 5A_568/2020* du 13 septembre 2021

Damien Hottelier
4 min readNov 3, 2021

Dans cet arrêt, un époux ouvre action en divorce. Son épouse obtient immédiatement qu’une provisio ad litem lui soit versée. L’époux n’obéit pas. Le Tribunal lui fixe un délai et l’avertit qu’à défaut de versement dans le temps imparti, l’action sera déclarée irrecevable, ce qui est prononcé quelques temps plus tard.

Le Tribunal cantonal valide.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’époux dans un arrêt sévère et très motivé, démontrant qu’une telle conséquence n’est pas admissible, et confirme sa jurisprudence déjà très ancienne parue dans l’ATF 91 II 77 :

  • L’art. 147 al. 1 CPC prévoit les conséquences d’un défaut.
  • La provisio ad litem est une obligation de droit matériel découlant des art. 159 al. 3 et 163 CC (ATF 146 III 203 consid. 6.3 ; 142 III 36 consid. 2.3 avec références).
  • Partant, l’inexécution n’a qu’un effet matériel et non procédural, même si la juridiction a fixé un délai de paiement et que le but même de la provisio ad litem est de financer un procès.
  • Un effet procédural réflexe — in casu, l’octroi possible de l’assistance judiciaire découlant de l’impossibilité d’encaisser la provisio ad litem— est certes possible. Mais un acte de droit privé, même s’il a par ricochet un impact procédural, ne constitue pas un acte de procédure au sens propre (le Tribunal fédéral cite une doctrine déjà très ancienne à ce titre).
  • On peut aussi se poser la question de savoir si la provisio ad litem est un acte procédural au sens de l’art. 147 al. 1 CPC. Le Tribunal fédéral penche pour la négative, mais ne résout pas la question définitivement.
  • Même si l’art. 147 al. 1 CPC devait également concerner les actes matériels ayant des impacts réflexes sur la procédure, il faudrait aussi vérifier la conséquence stipulée à l’art. 147 al. 2 CPC.
  • L’art. 147 al. 2 CPC prévoit qu’à défaut d’accomplissement d’un acte procédural, la procédure suit son cours, sauf si la loi en prescrit autrement. Il faudrait donc une base légale expresse pour ce faire.
  • De plus, exiger le paiement préalable de la provisio ad litem en fait de facto une condition de recevabilité au sens de l’art. 59 CPC.
  • La loi prévoit notamment les conséquences (art. 101 al. 3 CPC) de l’absence de paiement de l’avance de frais de justice (art. 98 CPC) et des sûretés (art. 99 CPC). Par ailleurs, l’art. 59 al. 2 lit. f CPC érige le paiement de l’avance en condition de recevabilité (ATF 140 III 159 consid. 4.1), mais le Tribunal fédéral rappelle à juste titre qu’il ne s’agit là que d’une reprise / référence à l’art. 101 al. 3 CPC.
  • Mais il s’agit des frais de justice, voire des sûretés, mais certainement pas de la provisio ad litem.
  • Il en découle l’absence de toute base légale expresse.
  • Cela n’est pas plus possible sous le biais de la conduite de la procédure rappelée à l’art. 124 al. 1 CPC.

Le Tribunal fédéral examine ensuite si la loi doit être complétée, l’art. 59 al. 2 CPC n’étant qu’une liste non exhaustive. Mais la Haute Cour s’impose une retenue particulière en la matière et n’entre pas en matière pour les raisons suivantes :

  • Le droit procédural sert à la réalisation du droit matériel, ne doit pas contrarier ce dernier et ne doit pas dégénérer en une fin en soi.
  • Une telle exigence pourrait empêcher une personne de demander en pratique le divorce.
  • Si le but est louable, une telle exigence heurterait frontalement la volonté du législateur. Celui-ci a interdit, à l’art. 99 al. 3 lit. b CPC, la perception de sûretés dans la procédure de divorce.
  • Les intérêts de la partie faible sont préservés de par la possibilité subsidiaire d’octroi de l’assistance judiciaire.
  • Il n’y a aucune raison pour que le Tribunal s’immisce dans l’exécution de décisions de droit matériel, ce d’autant plus que ce rôle incombe aux parties et que la loi prévoit le renvoi à la LP s’agissant de l’exécution de créances pécuniaires (art. 335 al. 2 CPC).
  • Même s’il s’agit d’une mesure provisionnelle conservatoire, un tel résultat ne peut pas non plus être atteint sous l’angle de l’art. 267 CPC.
  • Si l’instance de jugement a tout intérêt à connaitre le résultat de la procédure d’exécution forcée, la juridiction n’a aucune raison d’agir de sa propre initiative.
  • Si, comme dans le cas d’espèce, le Tribunal exprime son désaccord avec l’insaisissabilité constatée par l’OPF en octroyant un délai de paiement sous peine d’irrecevabilité, il s’immisce dans les prérogatives de l’OPF.

Le Tribunal fédéral note que, de manière générale :

Il n’appartient pas au CPC et au droit du défaut (art. 147 CPC, NdT) ou aux tribunaux de lutter contre les comportements abusifs des parties dans tous les domaines de la vie, notamment dans l’exécution des obligations de droit privé. Au contraire, il semble fondamentalement non pertinent de lier un éventuel abus dans l’exécution des obligations de droit privé à la recevabilité d’une procédure judiciaire. Enfin, le CPC n’a pas pour but d’épargner au trésor public les dépenses liées à la libre administration de la justice de la partie qui a droit à une avance. À cet égard, il doit plutôt suffire au juge du fond que la partie ayant droit à une avance prouve l’irrécouvrabilité de l’avance sur frais de justice qui lui a été accordée.

Partant, le Tribunal fédéral maintient sa jurisprudence 91 II 77.

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